Il est d’usage de dire que les bons chiens font les bons oiseaux. Le spectacle fascinant de la quête et de l’arrêt brutal du pointer, nez haut, tremblant de tous ses muscles ; la quête souple et féline suivie de l’arrêt couché du setter, tout comme l’élan fougueux d’un springer dans un roncier, le prudent travail de recherche d’un braque ou d’un épagneul, la course d’un lévrier sont indissociables de la fauconnerie.
En fauconnerie française, l’expression “chien d’oysel” est employée pour un chien qui chasse en fauconnerie mais, auparavant, elle était également utilisée pour le chien connaissant l’odeur des oiseaux (il y a eu confusion entre le gibier et l’oiseau de vol) et servant à l’oisellerie, c’est-à-dire la capture des oiseaux à l’aide de filets.
Le chien a toujours été classé en fonction de son utilité : de garde, de défense, de travail, de compagnie et… de chasse. Tous les chiens ont une même origine : le loup et le chacal. Le chien sauvage, issu du loup ou du chacal ou de leur croisement, existe au moins dès le mésolithique. Il a fait l’objet d’une lente pré-domestication, par intérêt mutuel de l’homme et de l’animal, sans doute comme a dû l’être la toute première association de l’homme et du faucon.
Il semble que, depuis l’âge de la pierre polie, le chien ait toujours aidé l’homme par son odorat, pour quêter ou suivre le gibier, par sa vitesse pour le poursuivre et l’atteindre et par son courage pour aider l’homme à le prendre. La référence la plus ancienne semble être les récits de Xénophon (Cynégétique 440 av. J.-C.) qui cite un chien appelé “chien de quête” s’arrêtant lorsqu’il aperçoit le gibier et ne se lançant dessus que lorsqu’il se lève.
La première mention de chien d’oysel remonte au « chien de faucon » cité par Sidoine Apollinaire en 430 de notre ère.
Les textes et enluminures médiévales sont nombreux à évoquer ou à représenter des chiens accompagnant des chasseurs, mais rarement en action de chasse et jamais en position d’arrêt. Outre des lévriers et autres chiens courants, on remarque des chiens à museau court, nommés « brachets » ou braques (qui a donné le nom de braconnier) ! Ainsi, le roi Pépin le Bref, en 760, nomme le duc Gilbert « braconnier-mestre » de ses chiens.
Pierre Amédée Pichot parle d’un émir syrien nommé Oussama (au XIIe siècle) qui dit avoir eu des « chiens d’arrêt, chiens braques que l’on faisait venir du pays des Grecs « et qui d’après ses explications « étaient de véritables chiens d’arrêt ».
Il faudra attendre ‘Le livre de la Chasse’ de Gaston Phoebus au XIIIe-XIVe siècles pour voir apparaître les « espagneux », des chiens ayant l’apparence d’épagneuls, qui sont d’ailleurs tous appelés « chiens d’oysel ». Il est intéressant de noter, à ce sujet, que le nom « espagneux » ou épagneul ne semble rien devoir à l’Espagne, mais bien au verbe ‘s’espanir’ signifiant s’allonger, se coucher (d’où le synonyme, chien couchant).
La première représentation de chiens marquant l’arrêt sur gibier est une peinture de 1338 d’Ambrogio Lorenzotti, intitulée ‘Effeti del buon governo in campagna’ au Palazzo Publico de Sienne. Les italiens du Moyen âge utilisent l’expression « braco de ferma » pour désigner le chien d’arrêt qui s’arrêtait en travaillant et était dressé à être muet.
Les chiens étaient soit courants, c’est-à-dire qu’ils poursuivaient le gibier, libres et à pleine voix, soit couchants, c’est-à-dire muets et mis à travailler à la main. Les chiens courants chassaient le nez bas en donnant de la voix, alors que les chiens couchants quêtaient la truffe haute et silencieusement, s’immobilisant lorsqu’ils rencontraient l’effluve du gibier et se couchant sur ordre, par dressage, comme l’indique Phoebus : « Qu’on leur enseigne à estre couchants pour prendre les perdrix et cailles au filé ».
On peut donc raisonnablement penser que des chasseurs intelligents et patients ont remarqué et sélectionné ces sujets particuliers et, par le dressage, obtenu un allongement du temps d’arrêt puis l’interdiction d’aboyer, enfin de bourrer sur ordre. Ce furent les premiers vrais « chiens d’oysel », toujours destinés à la chasse du petit gibier (cailles et perdrix) au profit des fauconniers mais aussi des arquebusiers et des chasseurs au filet (lesquels utilisaient souvent un rapace tenu au poing pour effrayer le gibier).
Pour faire lever le gibier devant le faucon, on se servait de chiens qui « pointaient » naturellement ; c’est cette disposition, cette aptitude particulière, qui a été fixée par la sélection. Le « pointage », arrêt rudimentaire, s’est progressivement transformé en arrêt ferme.
La fauconnerie utilisait depuis des siècles le chien à instinct d’arrêt, quand la première méthode de dressage manuscrite qui nous est parvenue a été rédigée (Loi sur l’oisellerie de Philippe le Bel, vers 1300). La première référence européenne relative au dressage de ce chien remonte à Albert le Grand, évêque de Ratisbonne (1193-1280), auteur du traité De Animalibus.
Cette sélection empirique, puis en élevage raisonné par croisements, enfin l’apport de la science génétique a permis, à partir des premiers brachets et espagneux, de donner naissance aux variétés de chiens d’arrêt modernes dont les meilleurs sont devenus chiens d’oysel lorsqu’ils servent un équipage de fauconnerie.
Ce sont quelques éleveurs anglais qui, il y a près de deux siècles, par des croisements judicieux dont le foxhound ou encore le lévrier, ont offert aux chasseurs un chien splendide et enthousiasmant, le pointer, capable de prendre des arrêts soudains et de les tenir, figé dans une immobilité absolue, que l’on dirait cataleptique. Quant au Setter, il semble issu d’un chien d’arrêt espagnol et de l’ancêtre de l’épagneul appelé « braque des cailles ».
C’est cependant vers 1850, que des efforts réels furent accomplis pour créer un nouveau chien d’arrêt adapté à la chasse au fusil, de plus en plus répandue, et que les races se sont fixées.
Il est intéressant de noter qu’au cours de l’Ancien Régime, divers règlements interdisent l’usage du chien couchant, terme qui désigne l’animal dressé pour marquer l’arrêt devant le gibier et, une fois abattu, le rapporter à son maître. Ainsi une ordonnance de 1578 prononce, en cas de contravention, la peine de punition corporelle pour les roturiers et menace les gentilshommes d’encourir la disgrâce du Roi. A l’initiative de Colbert, l’ordonnance de 1669 réitère l’interdiction sous prétexte que le recours au chien dénote une chasse « cuisinière ». Un commentateur de cette loi estime toutefois que « l’on contrevient plus souvent à la disposition de cet article qu’à tout autre pour le plaisir que donne cette chasse ». Cette prohibition a pu motiver plusieurs condamnations, mais le XVIIIème siècle se montre moins strict dans son application. Au gré de ses différentes éditions, La ‘Nouvelle Maison Rustique’ signale encore à ses lecteurs l’interdiction de la chasse aux chiens couchants sous prétexte « qu’elle détruit tout le gibier ». A la veille des troubles révolutionnaires, Magné de Marolles signale encore que l’assistance des chiens couchants est tolérée plutôt que permise, nuance qui en dit long sur la distance entre la loi et l’usage.
Le Commandant Gaston de Marolles affirme que le terme arrêt viendrait de la langue de la fauconnerie. « Arrêter » veut dire retenir le gibier après l’avoir lié ou empiété.
Charles d’Arcussia écrit dans un sonnet (1598)
« Alors que mes faucons sont en belle action, l’un pendu dans le ciel, sur l’autre qui l’arrête (la perdrix) ! ».
Arrêter était employé avec un parfait à propos, d’abord pour dire que l’oiseau de chasse retient le gibier après l’avoir lié, ou empiété, ensuite parce qu’il le retient par la peur, sous son regard (particulièrement l’autour) ; il a été ensuite appliqué à l’homme qui « arrête cailles et perdrix à l’aide du chien et du filet ». Autrefois, l’oiseau de chasse fondait sur un lièvre et le saisissait — il l’arrêtait net au sens propre. Si le lièvre était fort et qu’il n’était empiété qu’aux reins, il charriait l’oiseau de chasse et essayait de rentrer dans un fourré pour s’en débarrasser.
De son côté, l’oiseau essayait de le maintenir d’un pied et de l’autre de s’accrocher aux herbes ou aux branches pour l’arrêter. Quand il s’agissait d’un perdreau remis au couvert avant d’avoir pu être lié, le faucon s’arrêtait au-dessus de lui, en l’air, en se soutenant sur place en amont ; on disait alors qu’il se bloquait, c’est à dire s’immobilisait, tandis qu’il avait bloqué la perdrix qu’il avait remise ou arrêtée.
C’est par comparaison à cette expression spéciale de fauconnerie, que le chien, se mettant dans une position de surveillance analogue, fut dit arrêter la perdrix, car il indique la position par la direction de son nez, mais il ne l’arrête pas au sens propre, ce qui n’était le propre que de l’oiseau de chasse. Il semble indiscutable que l’expression arrêter appliquée au chien vient du lexique de la fauconnerie. Et de Marolles conclut :
« Ces quelques indications semblent confirmer que l’origine du chien d’arrêt est bien le chien d’oysel, puis le chien de faucon (la fauconnerie étant une des branches de l’oisellerie) et non qu’il ait été spécialisé pour la chasse à tir comme le prétendent certains auteurs. »
Les chiens de chasse sont classés selon des catégories différentes selon le travail exigé : chiens leveurs, chien rapporteurs, chiens courants et chiens d’arrêt. Le chien leveur lèvera le gibier sans trop de sommations ; c’est celui qui risque d’offrir le plus d’occasions pour le bas-vol. Le chien courant lèvera et suivra en aboyant la piste du fuyard.
Le chien d’arrêt a pour mission de se bloquer fermement, aussitôt qu’il reconnaît la présence de gibier, pour indiquer au chasseur où il se trouve. En fauconnerie, les races qui sont utilisées sont principalement les chiens d’arrêt et les chiens leveurs.
Transformer immédiatement la perception d’une odeur en un ordre d’immobilité consciente donné au corps tout entier, afin de signaler, comme convenu, la présence du gibier au chasseur, ne constitue nullement une prérogative des chiens d’arrêt anglais. D’autres chiens d’arrêt, originaires du continent, les ont précédés dans cette voie. Mais ce qui leur appartient en propre et fait tout leur mérite, c’est d’avoir su concilier l’avidité exacerbée avec laquelle ils explorent le terrain et l’immobilité soudaine qui les fige quand ils tombent à l’arrêt, leur galop fougueux et cette rigidité complète qui freine brusquement leur élan devant l’animal qu’ils viennent de sentir et dont ils signalent la présence à une distance suffisante pour ne pas être repérés.
C’est donc le chien d’arrêt qui est surtout utilisé en vol d’amont. L’arrêt doit être ferme, tout le temps nécessaire au faucon pour monter et se placer.
Le choix d’une race de chien d’arrêt dépend surtout des densités de gibier et du territoire à couvrir pour le trouver : sur des secteurs giboyeux et couverts et sur de petites parcelles de terrain, une race continentale sera plus appropriée qu’une race britannique, tandis que sur des terrains dégagés avec une densité de gibier faible, les chiens d’arrêt de races britanniques s’imposeront, le territoire couvert étant supérieur, donc les chances de découverte du gibier nettement élargies. Le tout est d’avoir un arrêt, pour l’obtenir il faut battre un maximum de terrain, ce que seule une quête très étendue permet.
Comment se passe la prise d’un ‘point’ ?
Le gibier émet une odeur qui est perceptible dans un cône d’émanations. Chaque race de chien a ses allures propres et sa façon de prendre l’arrêt.
Le Pointer a une quête énergique et un arrêt souvent brutal, tandis que le Setter allie souplesse, beauté à un style ‘félin’. Dès que le Setter entre dans le cône d’émanations du gibier, il va s’aplatir, un peu à la manière d’un félin, pour approcher en zigzaguant jusqu’à ce qu’il soit sûr de son odorat et qu’il s’immobilise arrêtant, souvent couché.
L’attitude du Pointer sera assez différente : dès qu’il traverse le cône et perçoit un effluve, il s’arrête brutalement. Ce sont ces fameux arrêts brutaux, parfois retournés, typés des pointers. Au printemps, les émanations sont plus bases et le Setter qui quête avec un nez plus bas que le Pointer a l’avantage. Par contre, si l’air est plus chaud et léger, c’est le Pointer aura l’avantage.
Les races de chiens d’arrêt britanniques sont le Pointer Anglais et Setters des trois variétés (Anglais, Irlandais et Gordon).
Les chiens d’arrêt britanniques sont souvent mesurés au cours de concours spécifiques, classés selon l’amplitude de la quête en « grande quête » et « quête à la française » ou « quête de chasse ».
La discipline la plus exigeante est la grande quête : il est demandé à deux chiens chassant en couple de ratisser et d’exploiter au mieux une superficie donnée, souvent plusieurs centaines d’hectares avec des ‘lacets’ de près d’un km, pour y trouver le gibier – uniquement perdrix grise (les concours de printemps se font toujours sur du gibier sauvage à l’inverse des concours d’automne).
C’est une quête adaptée à la grande plaine ou à la lande écossaise. Les chiens courent en couple et il y a, au minimum, trois juges, un au centre et un à chaque aile avec souvent des aides qui renforcent la ligne si la quête est trop étendue. Les chiens peuvent quêter aussi loin en largeur mais aussi en profondeur (distance entre chaque lacet) qu’ils veulent, du moment qu’ils soient « en main » et ne passent pas d’oiseaux ; si un des juges ou un aide fait voler un couple dans le parcours, les chiens sont éliminés.
Pour la quête de chasse, la profondeur est souvent limitée à la portée d’un fusil et la largeur des lacets est moindre (quelques centaines de mètres).
La grande quête est la discipline la plus exigeante parce que tout doit être parfait d’autant plus que l’action se passe, la plupart du temps, hors de portée du conducteur. Les critères du jugement en grande quête seront : l’allure et le style du chien par rapport au standard de la race, l’ampleur de sa quête, la façon dont elle est menée, la prise de point, la qualité de l’arrêt et la conclusion de celui-ci (le ‘coulé’ et la sagesse à l’envol) en plus, bien entendu, du respect absolu du poil et de l’arrêt à patron. Inutile de dire que les chiens de grande quête sont des ‘formule un’ difficiles à mener et des perles rares (de l’ordre de 1 à 5%). La grande quête est un peu au chien, ce que, dans un vol d’amont, un très grand plafond est au faucon. Le faucon ne fera probablement pas plus de prises s’il est à très grande hauteur qu’à une hauteur “efficace” mais quelle autre dimension !
Certes, en concours de grande quête, le comportement doit être stéréotypé et répondre à des critères précis qui permettent la prise de points, mais il faut bien faire la différence entre ce que l’on demande à un chien en concours et ce qui est utile et efficace en conditions réelles de chasse. Un concours n’a souvent que peu de choses à voir avec les exigences du terrain et de la chasse pratique, et empiète souvent sur l’initiative du chien. Ce qui doit primer chez le chien d’oysel, c’est l’intelligence dans la recherche, l’ambition du chien, sa passion, son initiative, une rage qui le pousse à amplifier sa quête, à élargir son rayon d’action, tout en gardant le contact avec son maître.
Certains chiens ont ce comportement, une longue quête naturelle qui s’amplifie si le secteur est vide.
Les chiens d’oysel doivent être efficaces et cette efficacité passe par leur capacité à prendre l’ascendant sur le territoire chassé pour le maîtriser voire le dominer. C’est l’arrêt qui prime sur tout. Que le chien arrête à 100 m ou 800 m, il n’y a aucune différence, seul le temps nécessaire pour arriver à l’arrêt est plus long.
Les fauconniers recherchent avant tout des chiens qui montrent des qualités naturelles de chasseurs et de ‘trouveurs’ de gibier. Ce sont ces qualités qu’il faut essayer de rechercher dans un chien d’oysel :
L’adaptation au territoire et au gibier. La quête sera souvent moins structurée, le chien analysant et travaillant le territoire en fonction du biotope et des endroits où il pense trouver le gibier. Ces grands chiens, vrais chasseurs, sont les perles rares que nous recherchons.
Il n’y a pas de bons ou mauvais chiens en fonction d’une race, il y a simplement des chiens plus adaptés à des biotopes et territoires que d’autres. Pas plus qu’on ne peut comparer le haut vol au bas vol, on ne peut comparer des chiens de groupes différents ; on peut comparer un setter à un pointer mais pas un continental à un chien anglais.